Dylan Grosbois est l’un des derniers pêcheurs professionnels de Loire en Anjou.
Dylan Grosbois est l’un des derniers pêcheurs professionnels de Loire en Anjou. Il pratique une pêche raisonnée et transforme une grande partie de ses prises, essentiellement des poissons migrateurs, dans son laboratoire dans le but de les commercialiser près de chez lui.
Profiter des paysages magnifiques et des lumières typiques du dernier fleuve sauvage d’Europe comme espace de travail, c’est le privilège dont peut s’enorgueillir Dylan Grosbois, un des derniers pêcheurs de Loire du département de Maine-et-Loire. Ils ne sont plus que 6 à être autorisés à pratiquer cette profession en raison principalement de conditions de travail très difficiles.
A 27 ans, Dylan, originaire de Chaudefonds-sur-Layon, a d’abord suivi et obtenu un Bac pro gestion milieu naturel et de la faune à Ancenis suivi d’un BTS gestion et protection de la nature à Briacé au Landreau (44).
Très jeune, il s’est intéressé à tout ce qui a attrait à l’environnement bien que son berceau familial n’ait pas été moteur de ce choix atypique. « Mon père est boucher, rien à voir avec cette activité, et ma mère dans le vernissage de meubles ».
« Je voulais travailler à l’Office Français de la Biodiversité, autrefois appelé ONCFS, office nationale de la chasse et de la faune sauvage. J’ai fait plusieurs stages dans ce cadre qui m’ont vraiment passionné. » C’est grâce à ces immersions, que notre jeune homme a découvert le métier rude de pêcheur de Loire.
« En fait, j’avais dit aux pêcheurs professionnels qui m’ont fait découvrir leur métier, que lorsque l’un d’entre eux cesserait son activité, j’étais prêt à prendre sa suite. Et quand l’occasion s’est présentée, j’ai récupéré le droit d’exploitation à un partant ». Administrativement, ces lots de pêche sont attribués par l’Etat et quand quelqu’un se décide à reprendre la suite, il doit se mettre en co-fermage dans un 1er temps avant de l’exploiter seul par voie d’adjudication l’année suivante.
Aujourd’hui la zone de pêche ligérienne dans le Maine-et-Loire s’étend de Varades jusqu’aux confins de Saumur. « Chaque lot de pêche représente plus de 5 kms. Comme je travaille toujours avec mon collègue Lionel Rezé, lui aussi professionnel de Loire, nous disposons tous les deux d’environ 15 kms de rivière de Chalonnes jusqu’à Ingrandes. » Le travail est tellement usant physiquement que la pêche s’effectue en binôme le plus souvent.
Une pêche de poissons migrateurs
Dylan pêche surtout l’anguille, qui représente le plus gros de son activité. La période s’étend d’octobre à février, même si celle qu’on appelle la petite anguille ou anguille jaune peut se prélever jusqu’en avril. « C’est la même espèce mais à un stade moins avancé, elle est plus jeune. Il y a la civelle, l’anguille jaune et l’anguille adulte d’avalaison qui transite ici pour se reproduire en mer dans les Sargasses ». Elles sont capturées avec des nasses fixées sur des grands filets coniques de 15 mètres de long sur 10 mètres de large qu’il jette dans le sens du courant et tendus à partir d’une embarcation fixe. Le courant amène naturellement les poissons qui viennent d’eux-mêmes se jeter dans cette sorte d’entonnoir.
Dylan est sur son bateau au moins tous les 2 jours, sauf durant 3 mois de l’année, notamment juillet et août. La température de l’eau y est trop élevée et les algues vertes qui se développent se prennent dans les filets et rendent impossibles les coups de pêche. Le métier est difficile et lorsque c’est le pic d’activités de l’anguille, il est présent sur le bateau toutes les 2 heures durant 10 jours voire un peu plus, nuit et jour, parfois sans quasiment dormir. « Je perds entre 6 et 7 kg dans la semaine, tellement c’est intense physiquement. On doit vider très régulièrement les poches remplies de poissons et transporter les prises dans nos viviers. »
Ce sont les saisons qui conditionnent les prises. De décembre à mars, on y pêche la lamproie, la cousine de l’anguille, si particulière avec sa bouche ventouse. « Nous les conservons dans des viviers flottants, percés de petits trous et traversés par l’eau du fleuve ». Peu consommées en France, elles sont acheminées vivantes vers le Portugal, gros consommateur, surtout durant la période de Pâques. Ou encore au printemps, l’alose, moins connue, une sorte de grosse sardine qui se reproduit en eau douce après avoir vécu toute sa vie en mer. Ou bien encore le mulet, lui aussi un poisson migrateur pêché, de mars ou avril jusqu’en juin. « Je pêche aussi des silures qui colonisent un peu plus la Loire ». Sa chair commence à être appréciée sur certaines tables.
Un laboratoire de transformation
Son activité est répartie pour moitié entre la pêche sur l’eau proprement dite et pour partie pour la transformation des poissons prélevés en vue de les commercialiser. Le métier de pêcheur aujourd’hui se déroule autant sur terre que sur l’eau.
A l’année, je pêche en moyenne 5 à 6 tonnes de poissons selon que la saison a été bonne ou moyenne. Mais pas besoin de surpêcher grâce à la transformation. « Si je devais vendre mes anguilles sorties de l’eau à un mareyeur il me les achèterait 10€ du kilo. Moi, je les vends 60€ du kilo une fois fumées. Cela permet une pêche raisonnée car je n’ai pas besoin de faire beaucoup de volumes pour en vivre. Sans cela, je devrais prélever 5 fois plus de poissons pour arriver au même résultat financier. »
Pour cela, Dylan s’est associé avec 4 collègues et pêcheurs professionnels. La Coopérative d’utilisation de matériel agricole (CUMA) de l’Anguille argentée, qu’ils ont constituée et située à Montjean-sur-Loire, possède un laboratoire et un fumoir unique dans le Maine et Loire. Cela leur permet de valoriser leurs prises et d’en retirer des revenus supérieurs à la vente directe de poissons. 70% du chiffre d’affaires est tiré de la fumaison de l’anguille.
Cette activité de transformation limite très logiquement les prélèvements des ressources vivantes en Loire. « On n‘a plus besoin d’avoir des quantités de poissons énormes. 80% des produits transformés sont vendus dans des restaurants, dont des étoilés, ou guinguette. Car les poissons sont lavés, fumés ou dépouillés, vidés et mis en sac sous vide d’air. « Les gens ne veulent plus s’embêter à dépouiller une anguille. Nous avons aussi la partie épicerie fine avec notamment les rillettes de poissons et les demandes fortes liées aux marchés fermiers. Je fais aussi la vente directe aux particuliers le samedi matin ou sur commande ».
Le métier est plutôt en voie de disparition car la ressource ne cesse de décliner depuis quelques années dues principalement à la pêche, et aux changements du milieu, et à la pollution provoquée par l’Homme. « Je trouve énormément de plastique dans l’eau, des bouteilles...c’est une catastrophe ! A Noël, je pêche même des sapins avec les boules, les guirlandes jetées par des personnes sans scrupules. Tout ce qu’on jette se retrouve dans la Loire puis dans la mer. L’impact principal négatif est dû à l’être humain ».
Dylan sait déjà qu’il ne pourra exercer ce métier qui le passionne toute sa vie, en raison de la difficulté physique de la profession de pêcheur. Néanmoins, son prochain cadre de vie sera la nature. De cela, il en est déjà sûr.